« Habiter sur le littoral,
c’est aussi savoir habiter avec le risque »
Johan Vincent in « Raz-de-Marée sur la côte atlantique 1924, l’autre Xynthia« , p. 142
Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) vient de présenter le 27 octobre dernier une étude intitulée « Territoires face aux catastrophes naturelles: quels outils pour prévenir le risque? » qui recense les outils publics mis en oeuvre pour prévenir, gérer et indemniser les catastrophes naturelles et leurs conséquences. Selon le CESE, la France gère bien les conséquences d’une catastrophe, offre de très bons outils d’indemnisation, mais elle pèche dans le domaine de la prévention et de la culture du risque. En cause le trop grand nombre d’outils, des procédures complexes et un manque de coordination. Ajoutons l’inertie des élus qui subissent de nombreuses pressions locales.
La conférence de Johan Vincent -chercheur au Centre de recherches historiques de l’Ouest- sur le « Raz-de-marée sur la côte atlantique 1924, l’autre Xinthia »(1) proposée par le CPNS le mardi 10 novembre 2015 tombait bien à propos pour faire écho aux conclusions du CESE en les croisant avec le regard de l’historien.
Xynthia, catastrophe sans précédent?
Nous serions tentés de répondre rapidement par l’affirmative. Chacun garde en mémoire ce tragique « événement qui n’a pas son pareil de mémoire d’homme ». Johan Vincent vient contredire cette affirmation péremptoire par son travail d’historien qui révèle que du XVIIe siècle à la tempête Xynthia, pas moins de 120 évènements de tempête associés à des submersions peuvent être recensés sur le littoral du golfe de Gascogne.
Un manque de résilience
Lors de sa conférence Johan Vincent nous a montré avec force de détails que cet événement n’était pas sans similitudes avec la tempête Xynthia tant sur le plan des dégâts matériels que sur le nombre des victimes puisqu’il relève 39 personnes décédées et 50 disparues, toutes des marins. Pour le conférencier « la principale différence entre les deux évènements repose sur la vulnérabilité accrue des populations terrestres au moment de Xynthia ». Cette vulnérabilité est « renforcée par le profil social de ces territoires littoraux …/…qui présentent une proportion de retraités importante …/… qui ne fréquente la mer qu’en période estivale et n’acquiert pas la résilience nécessaire face au risque« .
L’historien pose donc la question fondamentale du manque de résilience au phénomène de submersion observée au cours du vingtième siècle. Il livre quelques pistes pour expliquer cette attitude: la mémoire du risque s’étiole rapidement, le risque était moindre avec des habitations plus en retrait du trait de côte , situées plus en hauteur, une urbanisation balnéaire moins prégnante…
Une culture du risque en devenir
Malgré tout, Johan Vincent note une certaine prise de conscience du risque et de ses conséquences avec, dès 1925, un questionnement sur l’indemnisation des sinistrés imprévoyants ou encore sur la notion de perte de valeur vénale des biens soulignée par les propriétaires des villas du remblai de Saint-Gilles.
Avec regret, Il constate néanmoins qu’au cours du vingtième siècle, en dehors des indemnisations et du bétonnage des côtes, le pouvoir politique n’a pris aucune mesure d’urbanisme pour éviter la reproduction d’une pareille catastrophe.
Johan Vincent – extrait de la conférence du 10 novembre 2015
Face à l’inertie des décideurs politique Johan Vincent souligne aussi une volonté d’oubli des populations face à une situation anxiogène : « nous sommes désormais confrontés à une psychologie du risque qui a évolué au cours du siècle: la prise en compte du risque naturel est concurrencée par la perception du risque technologique et cette évolution fait que celui-ci est maintenant conçu moins comme une probabilité que comme un danger ». C’est peut-être ce qui différencie l’après tempête de 1924 de l’après Xynthia.
Un débat d’une grande qualité
Lors du débat qui a suivi la conférence de Johan Vincent, une intervenante a fort bien développé le thème de la modélisation du risque. Cette intervention rejoint l’étude CESE qui estime utile de doter les collectivités d’outils numériques permettant de représenter en trois dimensions les conséquences d’une catastrophe naturelle (inondation, submersion marine, avalanche, etc.) à l’échelle locale; une diffusion régulière des risques naturels potentiels aiderait les populations à prendre conscience des risques encourus dans les zones vulnérables.
intervention du public sur la modélisation du risque
Un autre intervenant a posé la question du nécessaire repli du trait de côte qui fait débat :
intervention du public sur la question du repli
Conclusion
Après la tempête Xynthia, 305 communes devaient élaborer des plans de prévention des risques naturels -PPRN- d’ici fin 2014. Compte tenu des retards, l’Etat a prolongé le délai jusqu’en 2016. Le CESE, quant à lui, souhaite que dès lors qu’un préfet propose la mise en place d’un PPRN, tout permis de construire soit suspendu ou gelé jusqu’à sa réalisation. Compte tenu des enjeux, il estime que les délais ne doivent plus être prolongés et que leur dépassement devrait donner lieu à sanction.
Faudra-t-il attendre une nouvelle catastrophe?
Pour en savoir plus
http://www.lecese.fr/…/les-territoires-face-aux-catastrophe…
http://www.journaldelenvironnement.net/…/la-prevention-des-…
http://www.batiactu.com/…/inondations-cese-propose-pistes-r…
http://www.courrierdesmaires.fr/…/le-cese-veut-ameliorer-l…/
(1) http://www.ouest-france.fr/un-raz-de-maree-sur-nos-cotes-en-1924
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Ne devons-nous pas des remerciements à Cyriaque FEUILLET, qui tient fidèlement ce site d’une grande richesse, au CPNS, à son Président ainsi qu’à tous ses acteurs – sans oublier Johan VINCENT le conférencier ? Ils s’emploient tous, courageusement, à nous rendre plus « sages ».
Jean-Pierre